Gaston vivait seul, depuis des années, dans sa petite maison. Au fil du temps, comme rien ne se passait dans sa vie, il avait peu à peu accordé de l’importance à mille petites choses. Ainsi, il aimait particulièrement que son gazon soit bien vert et impeccablement coupé. Depuis quelques temps, il avait remarqué qu’un arbre avait beaucoup grandi au fond de son jardin. Il faisait tant d’ombre que son gazon jaunissait de-ci de-là, par manque de soleil.
« S’en est trop », se dit-il, « je vais couper cet arbre ». Gaston monta dans sa petite voiture et partit acheter une tronçonneuse et une échelle. Ses emplettes faites, il se mit immédiatement au travail. Tout l’après-midi, il grimpa, coupa et ramassa. Le soir, il ne resta plus du bel arbre qu’un grand tronc tout nu et un tas de branches soigneusement empilées. Fatigué, il dîna sans traîner puis se coucha satisfait.
Le lendemain matin, en prenant son petit déjeuner, Gaston constata avec stupeur que l’arbre était intact, comme s’il n’avait rien fait la veille. Le tas de branches coupées et rangées prouvait pourtant le contraire. « C’est une histoire de fou ! » grommela Gaston. « On va voir ce qu’on va voir… », jura-t-il. Il acheva son repas et empoigna sa tronçonneuse d’un air résolu. Toute la journée, il coupa les branches puis débita le tronc, sans même prendre le temps de manger. Le soir venu, il ne resta de l’arbre qu’un tas de branches, une pile de bûches et une souche solidement plantée dans le sol. Épuisé, il sombra presque instantanément dans un sommeil agité de rêves.
Au milieu de la nuit, il se réveilla en sursaut. D’un bond, il se leva et ouvrit ses volets. Gaston balaya le fond de son jardin avec le faisceau lumineux de sa lampe torche. Il vit la souche de l’arbre, telle qu’il l’avait laissée la veille au soir, ce qui le soulagea et lui permit de se rendormir paisiblement. Au petit matin, se souvenant de cet intermède nocturne, Gaston s’étira, le sourire aux lèvres. Sa bonne humeur se volatilisa quand il aperçut l’arbre, feuillu à souhait, qui semblait le narguer.
Consterné, Gaston s’effondra sur son vieux fauteuil et réfléchit intensément. « Un petit malin me joue des tours » conclut-il. « Je vais surveiller cela de près ». Avec un peu moins d’ardeur que les jours précédents, Gaston entreprit une nouvelle fois de couper l’arbre. Ses muscles le faisaient souffrir parce qu’ils n’étaient pas habitués à un tel labeur. Une fois les branches tronçonnées et rangées, il s’arrêta pour se reposer.
Il dîna légèrement et prépara un grand thermos de café. Lorsque la nuit tomba, il ferma ses volets en ménageant une petite ouverture pour surveiller discrètement l’arbre depuis son fauteuil, à la douce lueur de la pleine lune. Il éteignit la lumière et attendit dans le noir. Les heures passèrent, interminables. Il but beaucoup de café et fit de grands efforts pour demeurer éveillé, malgré une belle envie de dormir. Dehors, rien, à part la faible activité de quelques animaux nocturnes. Les premières lueurs orangées du soleil matinal commençait à poindre, lorsque des mouvements autour de la souche attirèrent l’attention de Gaston. Avachi dans son fauteuil après sa nuit de veille, il se redressa et observa attentivement. Par un incompréhensible prodige, le tronc de l’arbre repoussait doucement ! Gaston se leva et couru jusqu’au fond de son jardin pour voir cela de plus près. Il découvrit tout un peuple de créatures, pas plus grandes que le petit doigt d’un enfant, affairé autour de l’arbre. L’irruption de Gaston les terrorisa. « Que faites-vous là ?! », cria-t-il.
Personne ne répondit car les petits personnages s’étaient cachés. Gaston fouilla un buisson et ne tarda pas à y trouver un petit être qu’il attrapa. Il lui répéta sa question mais le petit bonhomme était bien trop apeuré pour répondre quoi que ce soit. Gaston le remarqua et, pris de pitié, se calma. Il parla alors plus gentiment.
- Que faites-vous à mon arbre ?
- C’est notre maison monsieur, et nous la reconstruisons car quelqu’un l’a détruite.
- C’est moi qui l’ai coupé parce qu’il empêche mon gazon de pousser correctement. Alors arrêtez de me faire perdre mon temps.
- Mais sans cet arbre, nous n’aurons plus de maison où vivre heureux et faire grandir nos enfants.
La réponse bouleversa Gaston. Il ne pouvait pas laisser tous ces gens dans la détresse pour satisfaire son petit caprice.
- Je ne savais pas que vous existiez et que c’était votre maison. Je suis désolé. Je ne recommencerai plus.
Gaston posa délicatement le lutin sur le sol et tous les autres sortir progressivement de leurs cachettes. Ils remercièrent Gaston et se remirent au travail sous son œil admiratif.
Depuis, Gaston vit heureux avec ses petits voisins qui, avec leur brin de folie et leur magie, font pétiller son existence.